Bir-Lahlou. C'est en plein désert, dans la nuit du vendredi au samedi 28 février, que le Front Polisario a proclamé la naissance de la République arabe sahraouie démocratique. La cérémonie s'est déroulée en présence de quelques milliers de Sahraouis et d'une quarantaine de journalistes.Les correspondants de la presse internationale accrédités à Alger, les envoyés spéciaux des journaux français qui ont «couvert » la visite de M. Mitterrand en Algérie et les journalistes algériens avaient été informés vendredi, peu avant midi, qu'un avion spécial « les emmènerait dans le Sud pour un événement important ». Aucune autre explication n'était donnée.
Arrivés à Tindouf vers 18 heures, nous étions conduits peu après au petit hôpital de la ville pour voir une vingtaine de blessés sahraouis qui venaient d'y être transportés. Le spectacle était insoutenable : des petits enfants et des femmes affreusement mutilés et brûlés au napalm. Ici, un enfant de huit ans pleure, le bras amputé ; à côté, un autre, âgé de trois ans, hurle de douleur, la peau brûlée laisse apparaître la boîte crânienne.
Plus loin, deux femmes… L'une d'elles, l'épaule mise à vif par le napalm trouve la force de raconter ce qui s'est passé : depuis le 22 février, les avions marocains attaquent systématiquement les camps de réfugiés civils dans la région de Guelta Zemmour et Oum Dreiga. Ils commencent par lancer du napalm pour obliger les gens à s'enfuir, puis ils les mitraillent.
Le médecin-chef de l'hôpital montre les plaies purulentes qui viennent d'être désinfectées et explique : « Cela est dû au fait que les blessés se trouvaient à plus de mille kilomètres d'ici. Ils n'ont pu recevoir les premiers soins avant leur arrivée à Tindouf, trois ou quatre jours après les bombardements ».
À 21 heures, un long convoi de Land-Rover et de Toyota se forme et prend la direction du Sahara occidental. Après avoir roulé pendant plus de deux heures, nous traversons un grand campement et brusquement… quelque trois mille femmes et enfants forment un large cercle autour d'un mât au pied duquel une unité de maquisards présentera les honneurs quand le drapeau du Front Polisario sera hissé. À côté, des tentes d'honneur décorées aux couleurs du Polisario.
À 0 heures, M. Ould Ziou, président du Conseil national provisoire sahraoui, entouré des quarante membres de cette assemblée, et M. Mahjoub Laroussi, Secrétaire général adjoint du Front Polisario, qu'entourent d'autres dirigeants, s'avancent au milieu du cercle pour lire en arabe avec solennité la proclamation d'indépendance. Chaque phrase est ensuite traduite en français et en espagnol. Les femmes lancent des youyous de joie. Tout le monde chante l'hymne sahraoui tandis que des fusées sont lancées dans le ciel en guise de feu d'artifice et que des rafales de mitraillettes sont tirées comme dans les fantasias. Il règne une atmosphère de fête.
M. Sayid El Ouali, Secrétaire général du Front Polisario, regarde la scène, ému et souriant. Il demeure le principal responsable du Front Polisario, M. Laroussi assurant l'intérim quand il se trouve dans la zone de combats.Au cours d'une conférence de presse tenue sous une tente éclairée de quelques lampes tempêtes, M. El Ouali explique : « La décision qui vient d'être prise exprime la volonté de notre peuple et elle est conforme à la Charte de l'ONU, à celle de l'OUA et à celle de la Ligue arabe ».
Il affirme que le peuple sahraoui s'est autodéterminé dans la guerre. Le fait est que d'après le dernier décompte précis effectué par les membres de la Croix-Rouge qui sont sur place, quarante-cinq mille réfugiés se trouvent actuellement en territoire algérien, et vingt mille autres au Sahara qui, si la situation se détériorait gravement, seraient prêts à franchir la frontière pour se mettre à l'abri des bombardements.
M. El Ouali indique que la jeune république disposera de différentes institutions : un Conseil de la révolution, un Conseil de gouvernement et un Conseil national qui aura des fonctions législatives.
À 3 heures du matin, les femmes et les enfants regagnent leurs tentes. Les maquisards s'enfoncent dans le désert tandis que nous reprenons la direction de Tindouf. La fête aura duré trois heures, la guerre reprend ses droits.
envoyé spécial Paul Balta
Le Monde, 29 février-1er mars 1976
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